Lundi 17 mai à 18H00

par

par Mme DANY SAVELLI

Maître de conférences en études russes à

Université Toulouse Jean-Jaurès

Résumé

La Sibérie est souvent perçue comme un espace hostile, voire un espace infernal. À la « noire Sibérie » de Charles Baudelaire, on associe spontanément le vide, le froid, la nuit, les ours, le bagne et toutes ces visions funestes que l’acronyme Goulag semble résumer à lui seul.

Nombre d’éléments pourtant permettent de prendre le contrepied de cette image négative que les Occidentaux, et souvent les Russes eux-mêmes, associent spontanément à la Sibérie. En raison de son immensité et de son éloignement par rapport à Moscou et Saint-Pétersbourg, la Sibérie a pu en effet être perçue comme une terre d’asile et de refuge, comme une terre de liberté en rupture avec un « centre » autoritaire et prédateur, comme une terre promise où ancrer des expériences sociétales nouvelles. Espace protecteur pour les uns, lieu d’accueil des utopies pour les autres, la Sibérie est aussi depuis longtemps un lieu de migrations économiques. Qu’on l’envisage de l’intérieur de l’espace russe/soviétique ou de l’extérieur (de la Chine voisine notamment), ses richesses naturelles en ont fait depuis plusieurs siècles un véritable Eldorado.

Figure 6. « La Sibérie sauvera le monde », créée pour la journée d’études « La Sibérie comme paradis » (2015)

Au cours de cette excursion vers une autre Sibérie, il s’agit donc de réviser un imaginaire encore très prégnant sur une région qui représente un peu plus de deux tiers de la surface de la Fédération de Russie et qu’on réduirait à tort à une simple « périphérie ». En cette période de réchauffement climatique, un certain nombre d’indices (littéraires notamment) indique néanmoins que la vision infernale de la Sibérie qui s’est imposée depuis près de deux siècles est à nouveau concurrencée par une vision paradisiaque présente dès les XVIe et XVIIe siècles.

Photo de Clément Jacquemoud (en attente d’accord – son copyright devra être mentionné). Le village de Verkh-Ouïmon dans l’Altaï, longtemps supposé aux portes du légendaire Royaume des Eaux-blanches (Russie)

Lecture complémentaire

Sibérie comme paradis: Savoir-faire et techniques traditionnels

sous la direction de Dominique SAMSON NORMAND et Dany SAVELLI

La Sibérie comme paradis entend corriger une méconnaissance regrettable de la Sibérie en prenant délibérément le contrepied (non sans un brin de provocation…) des images que les Occidentaux, et souvent les Russes eux-mêmes, associent spontanément à cette « noire Sibérie » qu’évoquait Baudelaire : vide, froid, nuit, ours, bagne, quand le monde sibérien ne se réduit pas au seul acronyme Goulag.
Bien entendu, parler de la Sibérie comme terre paradisiaque – en écho à La Sibérie comme colonie, parue en 1882, du célèbre régionaliste Nikolaï Iadrintsev – ne relève pas d’une volonté de nier les conditions climatiques extrêmes de ce territoire, encore moins l’enfer carcéral qu’il a pu abriter ou le sort peu envieux qui y est encore trop souvent réservé aux peuples autochtones minoritaires. suite ->

Bibliographie succincte :

Coquin, François-Xavier, La Sibérie. Peuplement et immigration paysanne au xixe siècle, Paris, Institut d’Études slaves, 1969, 789 p.

Diment, Galya & Yuri Slezkine (éd.), Between Heaven and Hell. The Myth of Siberia in Russian Culture, New York, St Martin’s Press, 1993, x-278 p.

Kivelson, Valerie, Cartographies of Tsardom. The Land and its Meanings in Seventeenth-Century Russia, Ithaca – Londres, Cornell University Press, 2006, xiv-263 p.

Moussa, Sarga & Alexandre Stroev (éd.), L’invention de la Sibérie par les voyageurs et écrivains français (xviiie-xixe siècles), Paris, Institut d’études slaves, 2014, 231 p.

Samson, Dominique & Savelli, Dany, La Sibérie comme paradis, Paris, emscat (ephe), coll. « Nord-Asie », 2019, 396 p. 


Iconographie :

– Carte de Remezov Voir ci-dessous

Carte de toute la Sibérie jusqu’au Royaume chinois et au Japon (1673). Auteur anonyme. Archive d’État de l’histoire politique, F. 846, op. 16, n° 20220. Kivelson, Valerie, Cartographies of Tsardom. The Land and its Meanings in Seventeenth-Century Russia, Ithaca – Londres, Cornell University Press, 2006 Voir ci-dessous

Semion Remezov, Kratkaja sibirskskaja letopis’ (kungurskaja) so 154 risunkami [Brève Chronique sibérienne (dite de Koungour) avec 154 dessins], éd. de A. Zost, Saint-Pétersbourg, Tipografija F. G. Eleonskogo i Ko, 1880. Dessin 46.
Carte de toute la Sibérie jusqu’au Royaume chinois et au Japon (1673). Auteur anonyme.
Archive d’État de l’histoire politique (Russie), F. 846, op. 16, n° 20220. Reproduit dans le livre de V. Kivelson (voir bibliographie).

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