Professeur Yves COPPENS,

Vous accueillir aujourd’hui comme Président d’Honneur de notre Collège des Académiciens est un grand privilège pour notre Académie. En effet, vos travaux scientifiques, vos nombreuses publications et vos ouvrages de vulgarisation, vos conférences et vos entretiens audiovisuels, ont façonné votre renommée internationale, dont les vagues n’ont pas manqué d’agiter les rives de la Garonne.A titre personnel, j’ajouterai, que l’émotion que je ressens en prononçant cette allocution de bienvenue, renouvelle le plaisir que j’ai éprouvé, il y a quelque vingt ans lorsque je vous ai rencontré sous l’égide de l’Unesco, avant de travailler ensemble sur le site de l’homme de Pékin, bien connu des occidentaux depuis les écrits de Teillhard de Chardin.Aussi, par respect à votre égard et par décence vis-à-vis de notre auditoire, je ne détaillerai pas, comme le veut la coutume, votre parcours professionnel. Rappelant seulement que vous êtes Professeur au Collège de France, Membre de l’Académie des Sciences et de l’Académie de Médecine, titulaire ou associé à une dizaine d’Académie de par le monde, Docteur Honoris Causa de quatre Universités étrangères, et j’en passe, je me bornerais à souligner les traits qui me paraissent caractériser votre personnalité particulièrement attachante.Vous êtes, chacun le sait, le père de Lucy, l’une de nos lointaines grand-mères, et en même temps, dans l’arborescence de l’évolution de l’homme à laquelle vous avez consacré votre vie de chercheur, vous en êtes une des extrémités la plus aboutie. Parmi les Sapiens Sapiens que nous sommes,… sans toujours le mériter, je vous donnerai volontiers le qualificatif de sapiens à la puissance quatre. Car dans notre monde de violence et de crises, vous apparaissez comme un sage parmi les sages, et dans la Bible, on dirait certainement que vous êtes un Mage. Oui, un Mage qui a suivi fidèlement son étoile, sous le signe de la connaissance, de la bienveillance et de l’humanisme.

1- LA CONNAISSANCE SCIENTIFIQUE TOUT D’ABORD.

Attiré dès l’enfance par les mystères des mégalithes qui peuplaient  le territoire de vos origines, vous avez très vite choisi une discipline difficile mais passionnante : la paléo-anthropologie. En effet, partir à la découverte des rares traces de notre espèce, éparses dans le mille-feuille géologique de notre planète, exige une passion à toute épreuve pour surmonter les difficultés du terrain; mais elle impose également un contrôle de cette passion, c’est-à-dire une rigueur d’analyse impitoyable pour ses propres découvertes et un grand respect pour celles de ses collègues.Tous ceux qui se battent sur le front de l’acquisition des connaissances, qu’il s’agisse des sciences physiques ou des sciences de la vie, doivent acquérir très tôt, comme vous l’avez fait vous- même, cette sagesse inhérente au processus scientifique : observer, analyser, énoncer des hypothèses, CERTES, mais être prêt aussi à les modifier, à les enrichir au vu d’autres observations et d’autres analyses…telle est la dure loi du processus scientifique !Champollion, en son temps, a suivi ce long cheminement d’essais- erreurs, d’approximations successives, avant de trouver les clefs des hiéroglyphes et d’ouvrir les portes de la connaissance de la civilisation égyptienne. Galilée, avant lui, Pasteur après lui, et tantd’autres ont subi le même apprentissage. Pour votre part, vous avez été un des premiers à souligner le rôle qu’avait joué dans son évolution morphologique, la nécessaire adaptation de notre espèce aux transformations de son environnement naturel.Disciple de Darwin, vous n’avez pas pour autant rejeté Lamark, persuadé que le rôle complémentaire de l’inné et de l’acquis varie au cours de l’évolution. Amoureux de cette Afrique parfumée, de cette vallée de l’Omo où vous avez rencontré Lucy, vos travaux vous ont convaincu que l’Homo Sapiens n’était pas seulement d’origine africaine et que nous étions les héritiers d’une très lointaine hybridation, hypothèse largement confirmée aujourd’hui par la génétique des populations. C’est ainsi que vous avez toujours affiné vos conclusions qui ne sont jamais, pour vous, définitives mais une étape provisoire dans la quête de la connaissance. Et de ce fait, vous êtes devenu dans votre discipline un véritable homme de SYNTHESE. Si vous étiez un physicien, comme votre père, j’inclinerai à penser que vous seriez actuellement parmi ceux qui s’efforcent de réconcilier la mécanique quantique et la mécanique gravitationnelle, ouvrant ainsi un nouveau chapitre de la connaissance de la matière.

2- Vous êtes reconnu aussi comme un excellent médiateur scientifique, ce qui m’amène à évoquer la deuxième conjonction de votre étoile : LA BIENVEILLANCE.Depuis le début de votre carrière, vous avez eu l’intuition que les avancées de la science – notamment celle concernant nos lointaines origines – devaient être portées à la connaissance du plus large public, car elles constituent un élément essentiel de notre culture d’homme moderne. Mais il est vrai que les médias ont quelques difficultés à se retrouver dans les méandres de la recherche. Pour faire court et mieux accrocher leur public, ils leur arrivent souvent dedénaturer  en  simplifiant  ou  encore  de  cliver  à  l’extrême  le débat scientifique. La diffusion de la culture scientifique et technique, j’en parle d’expérience, est une tâche difficile car le temps médiatique ne coïncide pas avec le temps scientifique et les objectifs diffèrent sensiblement.Mais vous avez, pour votre part, le TALENT de pouvoir surmonter toutes ces difficultés. Cette disposition à communiquer tient évidemment au fait que vous connaissez parfaitement votre sujet. Mais cette connaissance ne suffit pas. Beaucoup maîtrisent parfaitement leur sujet et s’avèrent incapables de partager leur savoir avec un large public. Des cours et des exercices de communication mis en œuvre par des « gourous du média training » peuvent être utiles à des hommes politiques, sans pour autant en faire des tribuns ! Mais ils s’avèrent largement inopérants dans le domaine scientifique. Trouver les mots simples, mais adaptés, pour expliquer les phénomènes scientifiques à un public qui n’a pas toujours appris le modèle qui permet de recevoir les informations qu’on lui transmet, relève un peu – excusez le terme – de la « Magie pédagogique »Votre bonne étoile vous a donné ce DON qui repose, me semble-t-il sur une qualité intrinsèque : la bienveillance. Vous regardez toujours vos interlocuteurs avec une bienveillance fraternelle, ce qui créé chez eux une relation de proximité et une grande disponibilité d’écoute. Les journalistes qui vous sollicitent ne s’y trompent pas et le public, qui vous entend, également.Cette bienveillance transparaît aussi lors de vos échanges avec vos collègues. Et je peux en témoigner pour avoir assisté à un dialogue passionnant, à Pékin, avec le Professeur CHU, et plus tard, à un échange improvisé mais non moins intéressant, qui vous avait réuni à Tautavel, avec Michel BRUNET et Henri DE LUMLEY autour d’un fragment d’ABEL. Tout récemment, nous vous avons entendu, lors de la réouverture du Musée de l’Homme, ce Musée qui a failli sombrer, fragilisé par l’émergence du Musée des Arts Premiers. A cette occasion, vous avez souligné, une fois de plus, la leçon principale de ce Musée : à savoir, par-delà les différences superficielles de faciès ou de couleur de peau, la profonde unité génétique de l’homme. Oui, pour vous, à l’issue de la grande odyssée de notre espèce que vous nous avez racontée, nous sommes devenus génétiquement frères et nous devons nous regarder avec une bienveillance fraternelle.

3 – J’en arrive ainsi au troisième signe de votre étoile : l’HUMANISME La fréquentation quotidienne des fossiles humains vous a conduit naturellement à vous intéresser à la suite de l’aventure humaine : l’émergence, le développement, et aussi la disparition de ce que nous appelons les civilisations. Votre regard s’est élargi et j’incline à croire que vous êtes capable de nous parler aussi bien des civilisations précolombiennes ou aborigènes, de la culture Jomon ou de la culture Dogon, que des Australopithèques.Vous avez ainsi atteint cette quatrième dimension de la sagesse: l’humanisme, mais un humanisme que je qualifierai de MODERNE. Car, à la différence du grand Montaigne qui avait fondé le sien sur l’étude des Anciens, complétée par une connaissance de lui-même à l’abri des querelles de son temps, dans sa bibliothèque, rempart de sa liberté, votre Humanisme s’est nourri, quant à lui, de votre expérience de l’homme à travers le monde: c’est-à-dire de l’étude de ses origines et de ses constructions éphémères: les civilisations. De ce fait, votre méthode est différente: au lieu de dire « Apprends à te connaître » vous proposez: « Apprends à connaître les individus de ton espèce, les autres toi-même qui sont GÉNÉTIQUEMENT SEMBLABLES MAIS RICHE DE LEUR DIVERSITÉ CULTURELLE ». UN ET MULTIPLE TOUT À LA FOIS, – « à l’image du Créateur » diront les Croyants – , telle est la vision de l’homme que vous cherchez à faire partager .Cependant, il ne s’agit pas d’une vision idyllique, car vous n’ignorez pas que LE DÉMON DE LA VIOLENCE habite encore notre espèce… et que l’éducation et la culture ont beaucoup de mal à le contenir. Fait révélateur: l’UNESCO, cette grande institution dont on parle beaucoup à Toulouse actuellement et dont vous êtes très proche, comme notre ami MOUNIR BOUCHENAKI, n’est-elle pas connue du grand public, davantage en raison du label prestigieux qu’elle délivre, que par son rôle essentiel dans la promotion de l’Education, de la Science et de la Culture ?Vous n’ignorez pas non plus que, faute de limiter son appétit de puissance par une conscience plus affirmée de ses responsabilités, l’Homme est en train de détruire peu à peu, inexorablement, l’esquif sur lequel il est embarqué depuis son origine : notre belle planète bleue ! Pour reprendre le titre prémonitoire d’un tableau de Jérôme BOSCH, serions-nous donc embarqués sur une « Nef des Fous »? Question essentielle ! Vous m’avez donné, un jour, votre propre réponse que je me permets de livrer à notre auditoire : « Si abusant de sa liberté qui est une de ses caractéristiques essentielle, l’Homme précipite un cataclysme… peut être en restera-t-il une poignée à partir de laquelle tout repartira ! Dans l’histoire de l’évolution, ne sommes-nous pas des rescapés ? » Merveilleuse réponse du Sage, qui regarde avec TENDRESSE ET OPTIMISME les humains turbulents et imprudents que nous sommes…

Cher Professeur COPPENS, je terminerai ce tour du « vaste horizon de votre personnalité » en revenant à Montaigne. A la différence de l’auteur des « Essais » qui a attendu la cinquantaine pour honorer la charge de Maire de Bordeaux, avant de céder à la tentation d’un voyage en Italie, vous avez souvent accepté de répondre à de nombreuses sollicitations, au risque de restreindre votre liberté.Ainsi, vous avez succédé à Théodore MONOD à la Présidence de l’Institut des Steppes et des Déserts, et récemment, vous avez pris la tête de vos compatriotes pour obtenir le classement au Patrimoine Mondial du Territoire Breton situé entre l’Etel et l’Auray, un territoire dont la richesse mégalithique ne limite pas aux alignements de Carnac. L’UNESCO vous consulte régulièrement et j’ai ouï dire que vous étiez en train d’explorer les sites préhistoriques du continent asiatique susceptibles de figurer sur la liste du Patrimoine Mondial.Les puissants ne sont pas en reste : les Grimaldi sur leur rocher vous ont confié le soin de veiller à la destinée du musée d’anthropologie préhistorique de Monaco; le Président Jacques CHIRAC vous a demandé d’apporter votre expérience au Haut Conseil de la Science et de la Technologie tandis que son successeur, Nicolas SARKOZY, vous a appelé à la Présidence du Conseil Scientifique de la Grotte Lascaux. Et si le Président François HOLLANDE ne s’est pas encore manifesté, le PAPE François vous a nommé, le 18 octobre 2014, à la Commission Pontificale pour la Science. Depuis plus de vingt ans, en tant que Membre de l’Institut de France, vous êtes devenu « immortel », vous voici désormais « consacré » par le choix insigne du PAPE François.

C’est pourquoi, devant de tels engagements, notre modeste Académie Toulousaine des Arts et civilisations de l’Orient mesure aujourd’hui le rare privilège que vous lui accordez en acceptant de la rejoindre en tant que Président d’Honneur. Votre parrainage nous est précieux et je vous en remercie chaleureusement.

MARC ALBOUY,

PRÉSIDENT DE L’ATAO